La catastrophe se poursuit

Ils vivent avec la radioactivité depuis près de 35 ans : une catastrophe durable.
Neuf millions de personnes habitent dans les zones contaminées d’Ukraine, de Russie et du Bélarus.
Leur vie se résume, pour la plupart, à la misère et à la maladie.

La terre est contaminée pour longtemps, la nourriture aussi

Photo d'une bouchère, derrière son étal au marché montrant son certificat d'origne de la viande.

En Ukraine, plus que chez nous encore, on aime aller aux champignons, aux myrtilles, à la chasse, à la pêche. On cultive son potager quand on a la chance d’en avoir un. Par tradition, par goût pour la nature. Par nécessité économique, quand on n’a rien à dépenser au supermarché.

Mais depuis l’explosion de Tchernobyl, les sols, les lacs et les rivières sont contaminés. Gavés notamment de césium 137. Sa demi-vie est de 30 ans. 33 ans après la catastrophe, son activité a diminué de près de moitié. Mais il faudra plus d’un siècle pour atteindre des concentrations non toxiques. Quatre générations sont ainsi condamnées à ne plus manger les produits de leur terre, sauvages ou cultivés.

Pourtant, ils sont nombreux à se nourrir de produits locaux. Au marché d’Ivankiv, des petits producteurs vendent viandes et légumes du cru : «Toute ma viande a été contrôlée», assure une marchande, montrant volontiers l’attestation des services de contrôle. Peut-on faire confiance dans un pays où la corruption règne en maître, où les autorités nient l’ampleur du désastre et ne dépensent guère d’énergie pour prendre des mesures de protection de la population ?

Contrôles

Devant le marché, sur le trottoir, des paysannes vendent des champignons séchés, des confitures de baies sauvages, des plantes médicinales. Des produits non contrôlés. Vendus trois fois rien pour survivre.

Dans les supermarchés, les rayons sont bien approvisionnés en conserves, céréales, produits laitiers… Mais l’étiquetage ne nous dit rien des taux de césium 137. Tout est censé être «propre». On peut le croire ou non. À une époque, on mélangeait du contaminé et du propre pour écouler les stocks. Et l’on se dit qu’après Fukushima, d’autres pays et continents seront contaminés. Que d’autres catastrophes peuvent empoisonner durablement les sols, les eaux et l’humanité…

Photo d'un rayon de supermarché, rempli d'un étalage de bouteilles de Vodka.

Conséquences de Tchernobyl sur la santé

Photo de manifestants réclamants la vérité sur Tchernobyl.

En dissimulant aux populations les conséquences sanitaires et écologiques de l’accident de Tchernobyl, les dirigeants des grandes puissances participent à la désinformation cinquantenaire dont bénéficie l’industrie nucléaire, aussi bien civile que militaire. Cette stratégie, car c’en est une, est coordonnée par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), porte-parole de l’establishment nucléaire, grâce à la promotion d’une pseudo-science sur les effets des contaminations radioactives. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) en est, hélas, partie prenante, du fait de l’accord signé en 1959 entre les deux agences. Ce document interdit à l’OMS d’informer les populations sur les effets des rayonnements ionisants pour les humains sans l’aval de l’AIEA.

En janvier 2010, toutefois, l’Académie des sciences de New York (NYAS) a publié le recueil le plus complet de données scientifiques concernant la nature et l’étendue des dommages infligés aux êtres humains et à l’environnement à la suite de l’accident de Tchernobyl. Cet ouvrage met à la disposition du lecteur une grande quantité d’études collectées dans les pays les plus touchés : la Biélorussie, la Russie et l’Ukraine. Les auteurs estiment que les émissions radioactives du réacteur en feu ont atteint dix milliards de curies, soit deux cents fois les retombées des bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki ; que le nombre de décès à travers le monde attribuables aux retombées de l’accident, entre 1986 et 2004, est de 985 000, un chiffre qui a encore augmenté depuis cette date.

Photo d'un mur de photos d'identités des liquidateurs.

Des 830 000 « liquidateurs » intervenus sur le site après les faits, 112 000 à 125 000 sont morts.

Beaucoup de ces hommes et femmes ont reçu, souvent sans protection, d’énormes quantités de rayonnements et ont inhalé des poussières fortement chargées en isotopes de l’uranium. L’OMS et l’AIEA avaient présenté, en 2005, un bilan d’une cinquantaine de morts parmi les liquidateurs et jusqu’à 9 000 décès « potentiels, au total », attribuables à la contamination radioactive — et ce uniquement parmi les populations les plus affectées de Biélorussie, d’Ukraine et de la Fédération de Russie… Des milliers d’études ont mis en évidence dans les pays touchés une augmentation sensible de tous les types de cancer, ainsi que des maladies des voies respiratoires, des affections cardiovasculaires, gastro-intestinales, génito-urinaires, endocriniennes, immunitaires, des atteintes des systèmes lymphatiques et nerveux, de la mortalité prénatale, périnatale et infantile, des avortements spontanés, des malformations et anomalies génétiques, des perturbations ou des retards du développement mental, des maladies neuropsychologiques et des cas de cécité.

Si les conséquences sanitaires et environnementales laissent les technocrates de marbre, la facture économique finale, elle, devrait les émouvoir. Pour les vingt premières années, les dépenses directes provoquées par la catastrophe pour les trois pays les plus touchés dépassent 500 milliards de dollars, ce qui, rapporté au coût de la vie dans l’Union européenne, représente plus de 2 000 milliards d’euros. Autant, donc, sinon plus, que le coût de construction de toute l’infrastructure nucléaire mondiale !



  • 985 000 décès dans le monde sont attribuables aux retombées de l’accident entre 1986 et 2004 (selon la publication de l’Académie des sciences de New York – avril 2010 : Alexey Yablokov, Vassili Nesterenko et Alexey Nesterenko, « Chernobyl : Consequences of the catastrophe for people and the environment », Annals of the New York Academy of Sciences, vol. 1181, Wiley-Blackwell, avril 2010, 330 pages.
  • 830 000 liquidateurs sont intervenus sur le site : 112 000 à 125 000 sont morts.
  • 40 à 80 % des enfants sont malades, selon les zones.
  • 2000 milliards d’euros : c’est le coût de la catastrophe pour les trois pays les plus touchés.

Photos d'une photo montrant des liquidateurs masqués au Mémorial de Tchernobyl